Nous venons tout juste de
quitter le XXe siècle. Au cours de ce siècle, la planète a vu sa population
multipliée par quatre. De 1 milliard et demi en 1900, nous allons passer à 7
milliards en 2006. Durant le siècle écoulé, la consommation d'énergies et de
matières premières a explosé. Mais cette consommation est très inégalement
répartie : un cinquième de la population, les pays riches, s'accapare 80 % des
ressources naturelles de la planète. L’accroissement du niveau de
consommation se démultiplie avec le nombre toujours accru d’individus. La
conséquence est une explosion de la pression exercée par l'humanité sur la
planète. Cela se traduit, par exemple, par l'effet de serre, qui augmente la
température du globe et entraîne des catastrophes climatiques. Toujours à l'échelle
de la Terre, cette démultiplication de la consommation risque de se conclure
par la fin de la majeure partie des ressources fossiles au cours du présent siècle
: il reste, au rythme de consommation actuel, 41 années de réserves prouvées
de pétrole, 65 années de gaz, 55 années d'uranium. Contrairement au XXe siècle,
nous consommons désormais plus de ces ressources que nous en découvrons de
nouvelles. De plus, Il est prévu, d'ici à 20 ans, un doublement du parc
automobile mondial ainsi qu'un doublement de la consommation énergétique
mondiale. Enfin, plus nous approchons du terme des ressources, plus celles-ci
sont difficilement extractibles.
C'est la première fois,
depuis environ 100 000 ans que l'humain est sur Terre, qu'il menace la planète
à l'échelle globale et par là même sa propre survie. Mais des civilisations
ont déjà péri sur notre planète après avoir pillé et détruit leur
environnement. Les habitants de l'ile de Pâques en sont un exemple célèbre. La Terre, la biosphère, arrive aujourd'hui au
bout de ce qu'elle peut nous donner, nous touchons le terme de sa capacité
d'absorption de notre expansion. Pourtant, la sauvegarde de la planète
conditionne tous les autres problèmes. La Terre fortement altérée, nous
n'aurions alors plus de problème de chômage, d'éducation, de culture, d'économie,
car nous aurions disparu. Une analyse rationaliste simple amène rapidement à
intégrer que nous ne pouvons sans cesse accroître notre consommation dans un
écosystème où les ressources sont limitées. La plus simple justice exigerait
un partage équitable des ressources entre tous les habitants de la Terre, donc
une réduction de la consommation des habitants des pays riches. Aujourd'hui, même
pour des raisons égoïstes, et tout simplement pour nous sauver, notre intérêt
est d'apprendre très vite à consommer mieux, pour consommer moins, afin de
soulager l'écosystème.
Or, nous nous trouvons dans
une société délivrant, de manière continuelle et de façon unilatérale, le
message à l’exact opposé. La publicité nous dicte son idéologie de
consommation, directement, ou de manière détournée au travers des médias
qu'elle possède (en France, seuls deux journaux grand public, le Canard enchaîné
et Charlie Hebdo, n’ont pas de pub). Elle nous répète inlassablement, en
envahissant tous les espaces vierges, que rien n'existe en dehors de la
consommation, que notre raison d'être et notre seule façon d'exister est de
consommer sans cesse plus, frénétiquement. Si la réclame vantait les mérites
d’un produit - “ Les pantalons Michel sont solides et pas chers ” - la
publicité, elle, délivre un message idéologique : “ Pour être une personne
moderne, bien dans sa peau et la société, vous devez porter un pantalon Green
River. ” La publicité est ainsi progressivement passée du rang
d’information commerciale au statut de système de propagande, véhiculant
l'idéologie de la croissance, du progrès, de la technoscience, du nouveau.
Produite par les multinationales, elle possède des moyens à la hauteur de ces
firmes : le chiffre d'affaires de Général Motors est le double du PNB du
Venezuela. Si nous voulons nous sauver d'une catastrophe écologique globale, la
première étape devra être de mettre la publicité hors d'état de nuire .
Mais le danger que contribue
à faire peser la publicité sur l'écosystème, et par là même à la survie
de l'humanité, doit-il être notre unique motivation pour réagir ? Non, si
nous devons d’abord la combattre, c'est avant tout dans un souci humaniste.
Car la publicité véhicule un message qui par essence nie ce qui fait notre
qualité d'humain, c'est-à-dire la recherche de sens. Comment vivre bien,
pleinement, au quotidien quand le discours dominant réduit incessamment notre
existence à la consommation et à l'argent ? La publicité est par nature l'antiphilosophie.
Elle n'a de cesse de nous déshumaniser pour mieux nous marchandiser. Elle
exclut d'emblée toute valeur non marchande. Elle exacerbe continuellement nos
pulsions de possession, de domination, de jouissance immédiate.
Elle flatte le pire côté de l'humain. Au contraire de la chose amusante
et anodine décrite par ses promoteurs, elle constitue un enjeu de civilisation
majeur. Les antivaleurs qu'elle prône sont directement responsables de notre
manque d'appétit d'exister pleinement. La publicité engendre une civilisation
mortifère ou les individus, réduits à l'état de consommateurs, deviennent
inaptes à réformer la société. Les violences des banlieues, le sexisme, l'égoïsme,
une grande part du mal-être propre à nos civilisations, le culte du fric et
ses conséquences sociales dramatiques... trouvent largement leur source dans
son message. Quant à ceux, toujours intéressés, qui rêvent de faire de la
pub “ éthique ”, ils ne font que
cautionner le système et l'encouragent d'autant.
La réponse à la crise écologique
procède de la même logique : si nous devions réagir de façon purement
scientifique face à la menace qui pèse sur la biosphère, nous amènerions
immanquablement une réponse qui se solderait par un échec. Si nous sommes
incapables de poser un regard humaniste sur le monde, si nous restons passifs
devant l'injustice sociale, devant l'affaiblissement de la démocratie, devant
le fléau automobile, devant le supermarché qui tue la vie de la cité ou
encore face un élevage industriel, nos solutions réduites à la technique ne
seraient alors que la préface au Meilleur des mondes. Seul un regard sensible
et humain peut être porteur d'un avenir désirable.
Mais qu'il est douloureux de
s'extraire d'un conditionnement idéologique ! Cela exige d'abord une remise en
question individuelle. Lorsque le mouvement écologiste tire la sonnette
d'alarme face à l'épuisement des ressources naturelles, les prisonniers de
l'idéologie du progrès et de la technologie clament en chœur : “ On
trouvera autre chose ! ” Un
argument symptomatique de ceux qui croient et ne doutent plus, révélateur
d'une pensée établie sur une idéologie, c'est-à-dire sur un système niant
la réalité au profit d'une construction intellectuelle.
Alors comment résister à
l'idéologie publicitaire ? Cela passe par un aspect réglementariste : le
politique. Mais si son rôle est fondamental, celui-ci ne pourra que
partiellement contrer ce système de propagande, sous peine de sombrer dans le
totalitarisme. La majeure partie de la solution réside dans une évolution vers
des modes de vie qui ne laissent pas ou peu de prise à la publicité. Nous
devons d’abord refuser la société de consommation, la voiture, la télévision,
les grandes surfaces, le tourisme de consommation... au profit d'un mode de
consommation sobre, de la bicyclette, de l'autoproduction alimentaire (le
potager), de l'engagement politique, de la poésie. Soit un mode vie à l'exact
inverse de celui prôné par la publicité. Un mode de vie qu'elle décrit évidemment
comme ringard, passéiste... et qui, comme par hasard, est le seul qui pourrait
nous permettre de vivre bien, pleinement, joyeusement et longtemps sur ce petit
vaisseau spatial biologique fragile qu'est la planète terre.