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Projet de loi

Dossier n°2, novembre 2000

 

 

- Papa ! Maman ! Vite, vite ! C'est l'heure du culte ! Nous allons être en retard et les voisins vont encore nous regarder de travers.

Le petit Jérôme est toujours à l'heure pour le grand culte dominical. Ses parents sont fiers de sa ponctualité. D'ailleurs, c'est l'une des qualités qu'ils ont demandé au généticien de mettre en avant lorsqu'ils ont choisi les traits de caractères de leur fils. Pour se rendre au temple, les Dugenoux se rassemblent dans leur salon et allument l'écran géant. Ouf ! Il était moins une ! Tous leurs voisins sont déjà présents et apparaissent dans la liste des participants, en bas à droite de l'écran. Rater le culte serait une véritable honte dans ce quartier pavillonnaire de cadres moyens.

- Mes très chers frères consommateurs et consommatrices, nous sommes rassemblés afin de louer la grâce du grand capital. L'office de ce dimanche nous est offert par fricomania.com, courtage en bourse par Internet. Le grand capital a été tout particulièrement attentif à nous cette semaine puisque le cours de la bourse a augmenté de 2,5 %. Ce signe nous rappelle à tous combien il est important de consommer afin de mieux servir le grand capital et de lui exprimer toute notre reconnaissance. Consommer est un acte d'amour, puisque celui qui consomme est celui qui offre le capital qu'il possède; puisque celui qui consomme est celui qui partage avec chacun d'entre nous le but ultime de l'avènement du capital.

 Sitôt ces quelques paroles prononcées, les Dugenoux sont comme hypnotisés devant leur écran. La longue robe rouge brodée de fils d'or du grand capitaliste national renvoie les reflets de mille rubis et diamants. Sa voix profonde et réconfortante les berce d'une douce mélodie. Le grand capitaliste n'a pas son pareil pour leur ouvrir les yeux et leur montrer le chemin de l'avènement du capital. Grâce au culte et aux rituels, ils comprennent mieux le sens de leur vie. Consommer, acheter, louer le capital, lui vouer un culte sans fin et une reconnaissance éternelle. Le capital permet à chaque homme d'être heureux et de rendre les autres heureux.

- Nous allons commencer ce culte par une prière. Prions tous ensembles mes frères. "Oh grand capital, que ton nom soit béni et que chaque euro que tu nous offres le soit aussi. Nous ne sommes pas dignes de te servir, mais donne nous la force de mettre nos vies à ton profit. Eloigne-nous de l'enfer de la pauvreté et donne nous la foi pour que chacun de nos actes ouvrent pour la croissance éternelle."

 Pendant la prière, une image en relief leur propose d'acheter des plants de gazon transgénique résistant aux particules acides et à l'ozone. Une famille qui leur ressemble y est représentée en train de se prélasser dans l'herbe fraîche et respire le bonheur. Des mots en rapport avec l'image sont distribués à tous leurs sens par la voie sonore visuelle et olfactive : "Bonheur, herbe, fraîche, famille, joie, rire". Ces mots en cascade associés à l'image enivre la famille Dugenoux et les transporte dans un état second. Droguée et hypnotisée, Madame Dugenoux prouve son dévouement pour le grand capital en touchant l'écran : les plants de gazon seront livrés à domicile dans la journée et la somme correspondant directement débitée sur leur compte actions-liquide.

- Alléluia, alléluia, alléluia, gloire à toi Capital ! Notre sauveur et notre Dieu, viens vers nous grand capital.

Les chants s'enchaînent et le Dugenoux, tantôt debout, tantôt assis suivent les paroles qui s'affichent comme au karaoké. Madame Dugenoux, les yeux pleins de larmes, son mari et son fils absorbés par la drogue du rituel, sentent leur corps leur échapper et leur esprit s'évader vers un monde plus beau. Les produits qu'on leur propose d'acheter défilent de plus en plus vite : Nains de jardin en porcelaine, communicophone stéréo haute qualité, cuisine aménagée, body-trainer, crème amaigrissante, nouvel écran géant. Chaque membre de la famille touche frénétiquement l'écran pour acquérir ces biens et communier avec le grand capital.

Les paroles du grand capitaliste, les chansons, les images, tout s'accélère. La musique s'amplifie et fait vibrer les méga-basses du système stéréo. Madame Dugenoux fait tourner sa tête autour de son cou en hurlant. Monsieur Dugenoux fait de grands bonds sur place en se frappant les cuisses. Le petit Jérôme est assis dans le canapé, le regard vide et le maillot inondé de bave.

Les Dugenoux sortent doucement de leur torpeur et reviennent peu à peu à la réalité. Mme Dugenoux s'appuie lentement sur ses cuisses pour se remettre debout. Son mari est allongé sur le sol, le visage rouge et inondé de sueur. Le culte est terminé. La tête encore lourde et pleine d'images, chacun garde en soi cette foi que le grand capitaliste leur a transmis. La communion avec le grand capital était presque parfaite.

Toutes ces choses qu'ils ont acquis pendant le culte ne leur serviront probablement jamais. Ils n'ont pas de jardin, ne font plus la cuisine et Jérôme trouve les encyclopédies beaucoup trop ennuyantes, mais l'utilité de telle ou telle chose a bien peu d'importance pour ceux qui ont la foi. Ils ont accompli le plus beau des gestes d'amour : acheter sans raison et but, acheter pour acheter et être heureux d'acheter.

Denis CHEYNET