"Le problème principal, ce sont les
systèmes culturels de ce monde, qui sont tellement
différents"
Anton Schneider, directeur de Boston Consulting
La pub n'est pas une nouvelle culture, c'est l'anti-culture
par excellence. La culture, plus on la fréquente tôt,
plus on devient un adulte autonome. La pub, plus on y est soumis
tôt, plus on en devient un adepte "accroc". C'est pourquoi, la
pub est doublement régressive car elle ne peut être
efficace qu'en visant les fantasmes, les pulsions de tout un chacun
et parce que pour infantiliser les adultes autant commencer par les
enfants. Les marques tentent ainsi de fidéliser les enfants
avant l'âge de deux ans. Ce dressage des plus petits n'a rien
en soi de naturel ou de légitime : il y a encore vingt ans, il
était interdit, en France, d'utiliser directement des gosses
pour vendre des produits et il est toujours interdit, en
Grèce, de passer des pubs pour des jouets aux heures où
ils sont devant la télé...
On sait combien c'est facile
d'exploiter commercialement les rêves des gosses. Un enfant ne
fait pas la différence entre une pub, une fiction, la
réalité. La pub n'est pas seulement un
supplément d'âme dont a besoin le système. Elle
lui est indispensable à la fois pour vendre tel produit mais
au delà pour faire régresser les individus au niveau de
leurs fantasmes basiques. La culture avait pour fonction de museler
ces fantasmes, ces phobies, pour nous rappeler que nous ne sommes pas
tout-puissants, qu'on a besoin des autres et qu'aucune chose ne peut
remplacer et combler ce désir de l'autre. La globalisation en
cours appelle l'envahissement généralisé de la
pub.
McDo n'existerait pas s'il ne pouvait nous bombarder de ses
messages : il en a besoin pour balayer des siècles d'histoire,
d'humanisation des pratiques alimentaires, de respect des figures
parentales et des identités. La pub reste (pas pour longtemps
?) interdite de séjour dans les écoles. La protection
des enfants passe pourtant aussi par le refus de les y soumettre. Les
marques existent certes depuis longtemps mais avec un sens
différent. On était autrefois fidèle à
une marque parce qu'on croyait (à tort ou à raison) que
ses produits étaient meilleurs, plus résistants, plus
efficaces. La réclame visait à nous convaincre par des
arguments pseudo-rationnels. L'attachement actuel aux marques se
nourrit en revanche d'irrationnel parce qu'il vise, avant tout,
à réaliser une identification primaire.
L'enfant qui
exige des produits de telle marque ne justifie plus son choix par
leur qualité (réelle ou fausse), mais par le seul
attrait de leur nom (signe). On veut lui faire croire qu'il va
obtenir, à travers lui, une identité propre. Les
cultures spécifiques déclinent pour céder la
place à cet ersatz culturel. Les jeunes des banlieux ne sont
pas, à cet égard, insuffisamment intégrés
mais beaucoup trop intégrés au système des
marques, à la consommation. Cette recherche d'identification
par le marché est génératrice de violence car il
s'agit non seulement d'une mise en échec (comment se payer ses
produits de marque) mais aussi d'un véritable marché de
dupe : on ne peut jamais obtenir un équilibre social ou
psychique en s'identifiant à la pub : on veut être un
fil de pub comme les autres en exhibant sa conformité. L'enjeu
est important : comment se définit-on ? Quelle est son
identité ?
Nos grands parents portaient souvent des insignes
religieux, nous, nous portions plus des insignes politiques, nos
enfants portent des marques : on a des enfants Nike, des enfants
Benetton, des enfants McDo ou Coca ! Essayez de faire enlever une
casquette dans certains lycées : impossible car c'est
vécu comme une violence, le viol de l'identité
même du jeune.
La pub est parvenue à s'emparer des
identités, à les manipuler et trafiquer. Ce n'est pas
par hasard que le racket ne concerne que les marques, c'est bien une
preuve de plus que le marché secrète en lui-même
la violence. La pub doit pour rabaisser les personnes au rang de
consommateurs inverser le profane et ce qui était
considéré jusqu'alors comme sacré : elle profane
les sentiments, les identités, les valeurs, les engagements.
Elle nous vend de l'amour, de la tendresse, de l'amitié, de la
générosité. Elle sacralise parallèlement
le plus profane : "on se lève tous pour Danette" ! Mais devant
quoi se lève-t-on si ce n'est devant un (nouveau ) Dieu ? La
pub enlève toute dignité à l'humain pour la
transférer à la marchandise. C'est elle qui fera de
vous quelqu'un, sinon vous appartenez à la masse.
Comment la
pub représente-t-elle les consommateurs, bref les humains ?
Tel constructeur automobile vous imagine en troupeau de mouton, tel
autre nous voit parqués uniformément comme des places
de parking. La vie sans marque serait celle de la grisaille,
vaudrait-elle d'être vécue ? L'humain est
identifié à un mouton, à une chose
banalisée, inexpressive. Merci à Renault de nous faire
sortir du troupeau, Merci à McDo d'exister. C'est le produit
qui créé la surprise, qui singularise et non plus
l'humain. C'est le produit qui rend libre, qui rend
irrésistible, qui rend tout-puissant. La société
vue par la pub est celle de la grisaille et de la monotonie. Vous ne
pourriez plus rien pour vous, pour votre liberté, votre
bonheur ; si ce n'est bien sûr en vous identifiant à des
marques qui vous donnent un sens. La consommation de marque
créerait seule un sentiment d'existence. Encore devrait-elle
porter seulement sur son nom ou son logo et non sur l'utilité
véritable de l'objet : une casquette Nike c'est d'abord son
logo !
Cessons de croire que tout cela n'est pas grave, qu'on a un
second degré. Ce n'est pas vrai que les jeunes s'approprient
la pub pour la désarmer. La réclame cherchait
auparavant à parler comme les gens, aujourd'hui ce sont eux
qui singent le pub, qui reproduisent ses gestes,
répètent ses formules. La pub, c'est une monstrueuse
opération de formatage qui vise à faire
régresser l'individu jusqu'au niveau de ses images les plus
archaïques : on se croit, grâce au marque, tout-puissant,
on devient un killer (tueur). On en libère pas ces
archaïsmes sans dommage individuel et collectif. L'individu
profané par le marché n'a pas d'autre solution que de
s'identifier à une marque, ou plutôt à cette part
d'humanité qu'elle croit vendre. "Loréal parce que je
le vaux bien", Kronenbourg pour avoir des amis, etc. La pub en jouant
sur le mimétisme enfantin développe une sorte de
normopathie c'est à dire un besoin infantin de se soumettre
à des normes. Elle tue l'imagination et la
créativité chez les individus et les peuples.
La pub si
soft en apparence a pour cousine la propagande la plus hard. Elle est
donc la fille d'un nouveau totalitarisme dans ses moyens et ses buts.
La pub ne repasse pas pourtant les plats du nazisme et du stalinisme.
Elle est bien plutôt ce dont a besoin la société
des "deux dixièmes" c'est à dire celle, de demain,
où 20% de la population mondiale suffira à faire
fonctionner l'économie et où il faudra s'occuper des 80
% restant. Faut-il rappeler la proposition immonde de Zbigniew
Brzezinski - ancien conseiller de Jimmy Carter et fondateur du club
très fermé de la Trilatérale - de créer
sous le nom de tittytainment (de tits, les seins en argot
américain et de Entertainment pour divertissements) un
"cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante
permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée
de la planète" ? On sera alors très proche de la Rome
Antique (du pain et des jeux) puisqu'elle permettra le
décervelage et l'endormissement de milliards d'humains.
Le "je
positive" de Carrefour prendrait alors toute sa véritable
signification. la pub est donc bien au delà de sa fonction
commerciale immédiate un enjeu véritable car elle
participe à tout ce qui fait régresser l'humain. Elle
est ainsi ce qui permet de rabaisser les personnes au rang de simple
consommateur qui commence par consommer des produits puis consomme
ensuite d'autres humains (management moderne, violences sexuelles) et
finit par se consommer lui-même (dopage, sectes). La
résistance contre la pub est aujourd'hui un véritable
enjeu citoyen : Les lycéens américains ont
montré l'exemple en menant des grèves contre les
programmes de pub obligatoires tous les matins dans certains Etats.
Il faut préserver l'espace public en imposant
déjà le respect des règles. Il faut former les
enfants à la lecture (critique naturellement) des pubs.