L'Union sacrée médiatique et politique autour du télé-écologiste
Article de Paul Ariès publié dans le journal La Décroissance de février 2007 (n°36).
Nicolas Hulot a mis un terme à l’insoutenable suspense sur sa présence à l’élection présidentielle. De Sarkozy à Voynet, en passant par Bayrou et Royal, tous les candidats, s’ils sont élus, appliqueront son pacte, promis, juré, craché ! L’animateur de TF1 bénéficie d’une « union sacrée » inédite. Retour sur une énorme farce politique et médiatique.
87% des Français l’approuvent. Tous les grands présidentiables se sont empressés de signer son « Pacte écologique ». Même Voynet lui a fait les yeux doux avant de l’accuser de lui piquer ses idées. Bayrou voit en lui un ami. Seuls Besancenot et Laguiller font exception en renvoyant Hulot à l’ABC de la lutte des classes.
Soyons francs : personne n’est vraiment convaincu par son « pacte », mais tout le monde se croit pourtant obligé de signer. Comme s’il s’agissait de la version française du « politiquement correct ». Comme si surtout chacun savait bien que cette signature n’engage à rien. Seul un petit journal peuplé d’irréductibles résiste encore. On les dit abreuvés d’une solide boisson qui ne coule pas seulement entre Rhône et Saône : la décroissance serait-elle cette potion magique qui leur donne la force de résister ? La parution du Pacte écologique a produit un véritable tsunami médiatique. Arrêtons-nous cependant un instant sur les métaphores que tisse notre sauveur suprême.
C’est la guerre.
Le monde est en guerre, la France est en guerre, chacun serait en guerre. Comme en 1914, l’heure serait à l’Union sacrée face au péril écologique : « Quand l’ennemi vous attaque, vous ne demandez pas à votre voisin s’il est de droite ou de gauche, riche ou pauvre, blanc ou basané. Vous rejoignez ensemble la barricade. Avec le péril écologique, c’est exactement la même chose » ; « Si le péril écologique ne fournit pas l’occasion de s’unir, rien d’autre ne le fera ».
Cette Union sacrée a ceci de commode qu’elle confond bourreaux et victimes, complices et innocents. Elle nous est vendue sous prétexte d’efficacité, maître mot de l’époque : « J’estime qu’il est indispensable que toutes les familles politiques partagent le même diagnostic, qu’elles l’affirment à l’unisson, le véhiculent ensemble et votent de concert les grandes orientations pour une mutation écologique de notre société, d’autant plus qu’elles seront parfois rugueuses. Sans un pacte au sommet, la société n’aura pas confiance. »
Pas question donc de chercher des responsables. Le 22 janvier, lors de sa conférence de presse annonçant son retrait de l’élection présidentielle, l’animateur de TF1 parle du « profond désir de réconciliation » qui sous-tend le Pacte. Il s’agit de « pactiser (...), d’absoudre le présent pour nous concentrer sur l’avenir ».
Pas question d’instruire des procès : « Couper des têtes, fabriquer des boucs émissaires ne servirait à rien. C’est une stratégie fédératrice dont nous avons besoin d’urgence. Les hommes et les femmes de bonne volonté doivent pouvoir se rassembler sur l’essentiel, sans qu’il soit exigé de quiconque un laissez-passer idéologique » (p. 25).
Tous responsables ?
Disons-le tout de suite : cette Union sacrée n’est pas soluble dans la décroissance. Les objecteurs de croissance sont des résistants : nous avons des adversaires. Nous ne combattons pas seulement la pollution mais des logiques économiques et sociales. Nous ne combattons pas de méchants humains mais des choix de société. Nous sommes même prêts à couper (symboliquement) quelques têtes même si cela déplaît aux spécialistes en écologie de l’UMP. Les objecteurs de croissance sont convaincus que la Terre n’a pas été bousillée accidentellement. Il existe selon nous un rapport de cause à effet entre la domination de tous sur la nature et celle de quelques-uns sur tous les autres. La concorde civile et le pardon ? Certes mais après le jugement !
On ne révolutionnera pas le capitalisme en s’accordant avec les grands pollueurs. On ne sauvera pas la planète avec l’argent de Dassault et les méthodes de TF1. Cette Union sacrée est avant tout celle de la sainte alliance des grandes sociétés partenaires de Hulot (Elf, L’Oréal, TF1), des « grands hommes » amis de Hulot (Luc Besson, Pascal Obispo, Florent Pagny) et des partis voués au culte de la croissance. Cette sainte alliance a pour mission de convaincre le petit peuple que le temps de la récréation est fini, qu’il va falloir apprendre à se serrer la ceinture (sous prétexte de se serrer les coudes).
Ce « tous responsables », prôné par Hulot, ne peut que se retourner contre les plus petits. C’est une façon de réduire « la domination de tous sur la nature » sans remettre en cause « la domination des uns sur les autres » ; tout comme son cher « développement durable » ne peut être qu’une façon de polluer un peu moins pour pouvoir continuer à polluer plus longtemps. Hulot adresse donc d’abord son Pacte aux élites qu’il voudrait convaincre de la nécessité de conclure la paix des braves afin d’utiliser la pauvreté comme variable d’ajustement structurel du système productiviste face à la crise écologique.
Ce « tous responsables » est devenu très tendance car il est éloigné des vieux clichés militants. Mais ce refus de désigner les fautifs est injuste car il fait porter la même responsabilité à la ménagère de moins de cinquante ans et au publicitaire, à l’ouvrier de l’industrie nucléaire et à EDF, aux simples citoyens dont on n’écoute pas les votes (comme sur l’Europe) et à ceux qui s’approprient le pouvoir. Entendons-nous bien : nous sommes les premiers à dire que nos modes de vie sont irresponsables, que nos combats pour des salaires toujours plus hauts font tourner la machine qui nous broie. Mais le grand secret du Pacte c’est de faire croire qu’il n’y aura ni perdants ni gagnants. Or, prendre 10 % aux amis de Hulot ne les empêchera pas de bousiller la planète mais voler 10 % aux Rmistes les enfoncera plus encore dans la misère... Hulot prévient certes les riches qu’il leur faudra accepter de concéder des miettes un peu plus grosses aux pays du Sud. Mais il oublie de dire que notre enrichissement provient de leur pillage et de l’exportation de notre modèle économique. Bref, pour les « aider » à la hauteur de notre générosité, nous devrions d’abord les exploiter et les dominer. Hulot ne dit rien de l’annulation de la dette du tiers-monde. Il fait comme si on pouvait sauver la France du péril écologique sans remettre en cause les logiques mondiales, sans permettre aux peuples du Sud de « vivre et travailler au pays ».
Luxe
L’« hélicologiste » est très doué pour ne pas prendre position. Comme il l’a déclaré lors de sa conférence de presse, il ne soutient aucun candidat. Il ne donne pas son avis sur le volet environnemental des programmes du PS et de l’UMP, car il ne veut pas « distribuer les bons et les mauvais points ». Pour Nicolas Hulot, le jeu des partis politiques est profondément incompréhensible, méchant, voire inutile. Aussi dénonce-t-il ces candidats toujours prompts à « dénoncer nos faiblesses, nos incohérences, pour mieux nous diviser, plutôt qu’à faire jaillir et valoriser ce que nous avons de beau et d’utile en nous et de nous rassembler sur ces énergies positives ». À ses yeux, ce « jeu » – qui n’est autre que celui de la démocratie – est un « luxe », une « indécence » maintenant que nous sommes à un « carrefour de crises et de civilisations ».
Notre différence fondamentale avec M. Hulot, c’est que nous considérons les débats politiques et l’exposition des conflits comme essentiels. Si le bateau commence à couler, la première à chose à faire n’est pas de jeter la politique par-dessus bord.
Hulot botte en touche et préfère, refrain connu, créer un « lobby des consciences », comme si un clic sur Internet pour son Pacte représentait un engagement personnel véritable.
Vache sacrée
La bande à Hulot aligne des centaines de faits exacts. Elle a connaissance de symptômes précis. Elle sait que la température de la planète monte. Elle commande des analyses avec son comité de veille. Elle est cependant totalement incapable de produire un diagnostic juste, c’est-à-dire d’identifier le mal. La planète craque de toute part, la pollution menace la poursuite de l’aventure humaine. Feu sur la pollution ! Jugeons l’effet de serre ! Le carbone au poteau ! Les médications proposées ne peuvent dans ce cas qu’être insuffisantes, voire contre-indiquées.
Le Medef se prépare à ces nouveaux paramètres. Qu’importe pour eux les sept années de vaches maigres si leur succèdent sept années de vaches grasses. L’essentiel est que la vache reste sacrée, c’est-à-dire que les valeurs qui fondent la société productiviste et le consumérisme ne soient pas profanées par les objecteurs de croissance.
Pourquoi La Décroissance ne participe pas à ce concert de louange ? Parce que nous nous méfierons toujours des unions sacrées ; nous préférerons toujours le dissensus au consensus. Question de principe démocratique mais aussi d’efficacité politique. La démocratie a besoin d’empêcheurs de croire en rond. Le Pacte écologique est digne en cela des rapports au Soviet suprême. Il est conçu pour faire l’unanimité et gare aux dissidents qui pensent autrement. Ils finiront vite par être traités d’hérétiques si ce n’est de malades mentaux.