En 1930, les troupes de jeunesse des pays
totalitaires marchaient au pas, fascinées par les insignes
cousus sur leurs chemises, se soumettant à l'ordre social.
Soixante-dix ans plus tard, une nouvelle idéologie a pris
place. Elle ne dit pas son nom, parle de liberté et de
bonheur, mais conduit à la même soumission que ses
prédécesseurs. Les insignes ont juste changé.
Alors passe dans le camp d'en face. Le même défi
t'attend que ceux qui comme toi dans l'histoire ont
résisté.
La traduction en américain de marque
est brand, mot venant de brandon, outil employé pour marquer
le bétail au fer rouge.
"L'industrie n'a qu'une très faible
influence sur les programmes enseignés, et les enseignants ont
une compréhension insuffisante de l'environnement
économique, des affaires et de la notion de profit",
Table Ronde Européenne des
Industriels
"L'exclusion commence avec
l'impossibilité d'acheter un objet référent (une
paire de Nike ou de Reebok, par exemple, pour un jeune), qui vous met
en situation de marginalité."
Robert Rochefort, directeur du Credoc - Centre de recherche pour l'étude
et l'observation des conditions de vie.
Nique Nike !
Quelle réussite plus éclatante pour le tyran que
celle d'être adoré par ses victimes ? Les jeunes
rejetés et exclus par l'économie des multinationales
adorent leurs bourreaux dont ils portent les emblèmes sur
leurs vêtements. La perversité de cette réussite
aurait fait rêver plus d'un dictateur.
Les multinationales du tabac destinent toute leur communication
aux jeunes. Le nombre d'individus commençant à fumer
après l'adolescence est en effet marginal. Les manufactures de
cigarettes ciblent donc délibérément ce passage
de notre existence difficile, où nous cherchons des palliatifs
pour répondre à un malaise social, pour rendre leurs
futurs "clients" dépendants, et donc assujettis, à vie.
De cette même manière, d'autres multinationales jouent
avec cette période de notre existence où nous nous
trouvons particulièrement vulnérable. Même si
cela n'est pas pour vendre une drogue licite, elles manipulent les
inconscients à seul fin de profitabilité. "
L'industrie a de plus en plus recours à des anthropologues,
des psychanalystes, des neuropsychologues, des gens d'une
extrême compétence qui jouent avec maestria sur les
peurs et les désirs des enfants. "Linda Coco -
Center for Study of Responsive Law. Les capacités
financières de ces multinationales permettent d'asséner
massivement et de manière répétée leurs
messages et la représentation symbolique de ces firmes : le
logo. Celui-ci se confond alors totalement avec un emblème,
auquel la marque attribue des "valeurs" (factices ou
intéressées bien évidemment, car le seul
intérêt d'une multinationale est de reverser des
dividendes à ses actionnaires). "Les gens du marketing
se sont aperçus que ce qui marchait le mieux avec les enfants,
c'était le bombardement du logo de la marque."Michael Jacobson, directeur du Center for Science in the Public
Interest. Les adolescents, en recherche de socialisation, se
dirigeront naturellement vers les emblèmes de ces firmes,
facteurs d'intégration au groupe.
Mais combien de jeunes se questionnent sur la face cachée
de ces emblèmes brodés sur leurs casquettes,
vêtements, sacs ? à la différence de nos anciens
dictateurs, le tyran moderne se cache et ne laisse apparaître
que sa marque. Si le despote laissait voir un visage humain, avec
nécessairement ses faiblesses, la multinationale
présente la face lisse et glacée du totalitarisme
parfait. Elle ne se présente qu'au travers d'images longuement
travaillées et réfléchies par des
professionnels. La représentation déshumanisée
de la firme est juste. La réalité d'une multinationale
n'est qu'une somme d'actions cotées en bourse. Cette
entité financière est servie par des individus
prisonniers économiquement, ou y ayant des
intérêts égoïstes, ou encore des personnes
fanatisées et considérant la firme comme une fin en
soi. Contraints ou volontaires, ces individus contribuent alors
à un système favorisant la concentration des richesses,
le travail d'enfants dans les pays du sud du globe, la destruction de
la nature, et finalement l'endoctrinement de la jeunesse pour
perpétuer ce système.
Si l'adolescence est une période particulièrement
visée par les firmes, l'enfance constitue aussi un moment
où l'être est particulièrement
influençable. " lls (les enfants) pourraient bien
être le dernier marché restant sur terre. (...) Face
à la publicité, les adultes sont circonspects, flairent
l'arnaque et le baratin. (...) Les enfants, eux, regardent la
télé et s'exclament juste : C'est super !... "
Barbara Caplan, vice-présidente de l'entreprise de marketing
Yankelovitch Partners. La télévision et les films
dégoulinant déjà de réclames, les firmes
n'hésitent plus à enfoncer les portes des
établissements scolaires. Des enfants d'une classe maternelle
(!) parisienne ont ainsi reçu de la propagande des
chaînes de restauration Hippopotamus et Mac Donald's, et de la
firme Elf Atochem1. " Nos études montrent qu'une
conscience des marques pourrait commencer à se former avant la
fin de la première année. Par conséquent,
lorsqu'un enfant atteint dix-huit mois, vingt mois ou vingt-quatre
mois, il utilise déjà les marques comme des objets...
" James Mac Neal, Texas A&M University. Aux
états-Unis, les écoles primaires sont
"câblées" par des entreprises privées. En
échange, 1/5 du temps d'antenne est constitué de
messages des firmes. En France, certains cours sensibles que ne
désirent plus assurer certains enseignants, comme
l'éducation sexuelle, sont dispensés par des
représentants d'entreprises. Soixante mille adolescentes ont
ainsi reçu des échantillons de Tampax offerts dans le
cadre d'un "programme éducatif"2. En dépit de la loi
qui interdit toute forme de publicité à l'école,
la publicité envahit le système scolaire et
universitaire au travers d'opérations de "sponsoring
éducatif".
Une lueur d'espoir : la Suède va prendre le
présidence de l'Union européenne en 2001. Elle compte
élargir sa législation très restrictive de
publicité à destination des enfants. " La plupart
des enfants n'arrivent pas à faire cette distinction (entre la
publicité et un programme) avant l'âge de six à
huit ans, même si certains y parviennent dès trois ou
quatre ans, et ce n'est que vers dix ans que tous les enfants ont
acquis cette faculté. " Marita Ulvskog, ministre de la
Culture suédoise. De nombreux pays sont favorables
à cette mesure. Les propagandistes publicitaires
français commencent à organiser le lobbying pour
contrer cette loi3.
Mais il est temps de comprendre que ces multinationales sont
livrées à la seule logique financière. Leurs
intérêts sont opposés aux impératifs
humanistes et écologiques. Et cette jeunesse, grandissant sous
influence, doit s'affranchir de l'idéologie publicitaire, pour
démanteler et maîtriser ces firmes et leurs marques.
Raoul Anvélaut
1 - Courriers à Charlie Hebdo - juillet
2000
2 - "Les crimes publicitaires dans la guerre
moderne" d'Yves Frémion, Silence - Septembre 1999
3 - Le
Monde 28.01.2000 - Florence Amalou
La pub ou
l'anti-culture
"Le problème principal, ce sont
les systèmes culturels de ce monde, qui sont tellement
différents"
Anton Schneider, directeur de Boston Consulting
La pub n'est pas une nouvelle culture, c'est l'anti-culture par
excellence. La culture, plus on la fréquente tôt, plus
on devient un adulte autonome. La pub, plus on y est soumis
tôt, plus on en devient un adepte "accroc". C'est pourquoi, la
pub est doublement régressive car elle ne peut être
efficace qu'en visant les fantasmes, les pulsions de tout un chacun
et parce que pour infantiliser les adultes autant commencer par les
enfants. Les marques tentent ainsi de fidéliser les enfants
avant l'âge de deux ans. Ce dressage des plus petits n'a rien
en soi de naturel ou de légitime : il y a encore vingt ans, il
était interdit, en France, d'utiliser directement des gosses
pour vendre des produits et il est toujours interdit, en
Grèce, de passer des pubs pour des jouets aux heures où
ils sont devant la télé...On sait combien c'est facile
d'exploiter commercialement les rêves des gosses. Un enfant ne
fait pas la différence entre une pub, une fiction, la
réalité. La pub n'est pas seulement un
supplément d'âme dont a besoin le système. Elle
lui est indispensable à la fois pour vendre tel produit mais
au delà pour faire régresser les individus au niveau de
leurs fantasmes basiques. La culture avait pour fonction de museler
ces fantasmes, ces phobies, pour nous rappeler que nous ne sommes pas
tout-puissants, qu'on a besoin des autres et qu'aucune chose ne peut
remplacer et combler ce désir de l'autre. La globalisation en
cours appelle l'envahissement généralisé de la
pub. McDo n'existerait pas s'il ne pouvait nous bombarder de ses
messages : il en a besoin pour balayer des siècles d'histoire,
d'humanisation des pratiques alimentaires, de respect des figures
parentales et des identités. La pub reste (pas pour longtemps
?) interdite de séjour dans les écoles. La protection
des enfants passe pourtant aussi par le refus de les y soumettre. Les
marques existent certes depuis longtemps mais avec un sens
différent. On était autrefois fidèle à
une marque parce qu'on croyait (à tort ou à raison) que
ses produits étaient meilleurs, plus résistants, plus
efficaces. La réclame visait à nous convaincre par des
arguments pseudo-rationnels. L'attachement actuel aux marques se
nourrit en revanche d'irrationnel parce qu'il vise, avant tout,
à réaliser une identification primaire. L'enfant qui
exige des produits de telle marque ne justifie plus son choix par
leur qualité (réelle ou fausse), mais par le seul
attrait de leur nom (signe). On veut lui faire croire qu'il va
obtenir, à travers lui, une identité propre. Les
cultures spécifiques déclinent pour céder la
place à cet ersatz culturel. Les jeunes des banlieux ne sont
pas, à cet égard, insuffisamment intégrés
mais beaucoup trop intégrés au système des
marques, à la consommation. Cette recherche d'identification
par le marché est génératrice de violence car il
s'agit non seulement d'une mise en échec (comment se payer ses
produits de marque) mais aussi d'un véritable marché de
dupe : on ne peut jamais obtenir un équilibre social ou
psychique en s'identifiant à la pub : on veut être un
fil de pub comme les autres en exhibant sa conformité. L'enjeu
est important : comment se définit-on ? Quelle est son
identité ? Nos grands parents portaient souvent des insignes
religieux, nous, nous portions plus des insignes politiques, nos
enfants portent des marques : on a des enfants Nike, des enfants
Benetton, des enfants McDo ou Coca ! Essayez de faire enlever une
casquette dans certains lycées : impossible car c'est
vécu comme une violence, le viol de l'identité
même du jeune. La pub est parvenue à s'emparer des
identités, à les manipuler et trafiquer. Ce n'est pas
par hasard que le racket ne concerne que les marques, c'est bien une
preuve de plus que le marché secrète en lui-même
la violence. La pub doit pour rabaisser les personnes au rang de
consommateurs inverser le profane et ce qui était
considéré jusqu'alors comme sacré : elle profane
les sentiments, les identités, les valeurs, les engagements.
Elle nous vend de l'amour, de la tendresse, de l'amitié, de la
générosité. Elle sacralise parallèlement
le plus profane : "on se lève tous pour Danette" ! Mais devant
quoi se lève-t-on si ce n'est devant un (nouveau ) Dieu ? La
pub enlève toute dignité à l'humain pour la
transférer à la marchandise. C'est elle qui fera de
vous quelqu'un, sinon vous appartenez à la masse. Comment la
pub représente-t-elle les consommateurs, bref les humains ?
Tel constructeur automobile vous imagine en troupeau de mouton, tel
autre nous voit parqués uniformément comme des places
de parking. La vie sans marque serait celle de la grisaille,
vaudrait-elle d'être vécue ? L'humain est
identifié à un mouton, à une chose
banalisée, inexpressive. Merci à Renault de nous faire
sortir du troupeau, Merci à McDo d'exister. C'est le produit
qui créé la surprise, qui singularise et non plus
l'humain. C'est le produit qui rend libre, qui rend
irrésistible, qui rend tout-puissant. La société
vue par la pub est celle de la grisaille et de la monotonie. Vous ne
pourriez plus rien pour vous, pour votre liberté, votre
bonheur ; si ce n'est bien sûr en vous identifiant à des
marques qui vous donnent un sens. La consommation de marque
créerait seule un sentiment d'existence. Encore devrait-elle
porter seulement sur son nom ou son logo et non sur l'utilité
véritable de l'objet : une casquette Nike c'est d'abord son
logo ! Cessons de croire que tout cela n'est pas grave, qu'on a un
second degré. Ce n'est pas vrai que les jeunes s'approprient
la pub pour la désarmer. La réclame cherchait
auparavant à parler comme les gens, aujourd'hui ce sont eux
qui singent le pub, qui reproduisent ses gestes,
répètent ses formules. La pub, c'est une monstrueuse
opération de formatage qui vise à faire
régresser l'individu jusqu'au niveau de ses images les plus
archaïques : on se croit, grâce au marque, tout-puissant,
on devient un killer (tueur). On en libère pas ces
archaïsmes sans dommage individuel et collectif. L'individu
profané par le marché n'a pas d'autre solution que de
s'identifier à une marque, ou plutôt à cette part
d'humanité qu'elle croit vendre. "Loréal parce que je
le vaux bien", Kronenbourg pour avoir des amis, etc. La pub en jouant
sur le mimétisme enfantin développe une sorte de
normopathie c'est à dire un besoin infantin de se soumettre
à des normes. Elle tue l'imagination et la
créativité chez les individus et les peuples. La pub si
soft en apparence a pour cousine la propagande la plus hard. Elle est
donc la fille d'un nouveau totalitarisme dans ses moyens et ses buts.
La pub ne repasse pas pourtant les plats du nazisme et du stalinisme.
Elle est bien plutôt ce dont a besoin la société
des "deux dixièmes" c'est à dire celle, de demain,
où 20% de la population mondiale suffira à faire
fonctionner l'économie et où il faudra s'occuper des 80
% restant. Faut-il rappeler la proposition immonde de Zbigniew
Brzezinski - ancien conseiller de Jimmy Carter et fondateur du club
très fermé de la Trilatérale - de créer
sous le nom de tittytainment (de tits, les seins en argot
américain et de Entertainment pour divertissements) un
"cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante
permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée
de la planète" ? On sera alors très proche de la Rome
Antique (du pain et des jeux) puisqu'elle permettra le
décervelage et l'endormissement de milliards d'humains. Le "je
positive" de Carrefour prendrait alors toute sa véritable
signification. la pub est donc bien au delà de sa fonction
commerciale immédiate un enjeu véritable car elle
participe à tout ce qui fait régresser l'humain. Elle
est ainsi ce qui permet de rabaisser les personnes au rang de simple
consommateur qui commence par consommer des produits puis consomme
ensuite d'autres humains (management moderne, violences sexuelles) et
finit par se consommer lui-même (dopage, sectes). La
résistance contre la pub est aujourd'hui un véritable
enjeu citoyen : Les lycéens américains ont
montré l'exemple en menant des grèves contre les
programmes de pub obligatoires tous les matins dans certains Etats.
Il faut préserver l'espace public en imposant
déjà le respect des règles. Il faut former les
enfants à la lecture (critique naturellement) des pubs.